mercredi 30 janvier 2013

Le Livre d'Eli - 2010



Et un film à polémiques, un ! La première fois que j'ai vu ce film je l'ai tout simplement détesté, jamais un film ne m'avait autant énervé. J'étais bouillonnant, et j'ai pas pu dormir de la nuit. Je l'ai longtemps mis de côté, le qualifiant de sombre bouse, avant de plus ou moins par hasard le revoir avec un oeil différent. Et voilà que Le Livre d'Eli rentre aisément dans mon top10. Sortit en 2010 et produit par la Warner Bros, ce film constitue, avec La Route, un de mes films préférés s'inscrivant dans le genre post-apocalyptique, mais pas que... Bon, j'ai voulu laisser des zones de flou pour pas spoiler, mais franchement, avec un titre de film pareil, vous vous doutez bien de quelques détails (ou pas ?) concernant les tenants & aboutissants de ce film.

Fallout Inside : 

Eli, incarné par Denzel Washington, trace son chemin dans un désert, bouffant du corbeau et évitant plus ou moins judicieusement les bandits de grand chemin tout droit sortis de Mad Max. Il a un objectif bien précis, qui est d'acheminer un livre en sa possession jusqu'à une destination qu'il tient à garder secrète. Le pitch paraît simpliste, mais l'univers et les doubles-sens viennent ponctuer le scénario d'apparence plat avec de subtiles allusions -vous l'aurez compris- tantôt bibliques, tantôt cinématographiques, avec des références multiples mêlées à des paris osés dont le résultat crève l'écran, malgré une fin précipitée qui déçoit un peu car un peu maladroite. Les décors sont magnifiques (sacrée colorimétrie), le jeu d'acteur est prenant, et l'histoire bien menée derrière 2 principales thématiques antagonistes : le chaos et l'harmonie. Sur fonds de guerre apocalyptique et religieuse, s'il vous plaît.


Le pouvoir des mots :

On plonge à petits pas, dans l'univers du film, en découvrant progressivement les causes & conséquences du chaos ambiant. Des carcasses de voitures empilées, des ponts défoncés, un désert omniprésent amenant à une sécheresse palpable derrière l'écran. On rencontre au final un protagoniste (qui se trouve être maire) cherchant à affirmer son pouvoir sur un petit village, le seul bastion de ce qu'on pourrait appeler "civilisation" dans le film. Forcément, l'accent est mis sur le pouvoir de la -bonne- parole, celle prêchée par une des rares personnes pouvant encore lire et comprendre ce qu'il tient entre ces mains ; des textes rescapés des flammes . Le pouvoir des mots, et du principe même du message est remis en cause : un texte peut prôner toutes les valeurs morales du monde, il reste beaucoup d'intermédiaires entre un prêcheur et son auditoire :  sa lecture, sa diction, l' écoute et l' interprétation captée. S'approprier l'une ou l'autre des étapes, c'est déjà induire l'erreur dans la suite du processus de compréhension, c'est le propre de la manipulation. Et là où le contexte visuel du film suffisait déjà à nous plonger dans le chaos, on entre à ce moment précis dans un tout autre récit qui se juxtapose à  ce contexte visuel : celui du chaos moral et du déséquilibre des croyances.


Le non-conformisme au service du libre-arbitre :

De ce chaos s'ajoute une certaine part d'harmonie. Parce que bon, un film de SF post-apocalyptique qui plus est, sans super-héros, en général ça dure pas plus de 5 minutes avant que le personnage principal ne meurt du tétanos/de faim/de soif/ou que sais-je encore. Si au départ la crédibilité du jeu d'acteur de Denzel est largement remis en cause par des situations un tantinet exagérées, on se rends compte progressivement qu'il y a quelque chose d'autre mis en jeu derrière, situé à la frontière entre le raisonnable et le divin. Il faut quand même une sacré dose de détermination  pour vouloir acheminer un bouquin dans un monde pareil, à moins justement qu'il s'agisse finalement de déterminisme... C'est là qu'entre en scène un acteur parallèle qui englobe le film et prends de plus en plus d'ampleur, c'est la foi qui guide le(s) héro(s). Pas dans le sens premier à la connotation largement religieuse, mais simplement au niveau humain ; entre piller, être pillé ou vendre du gros calibre à des dictateurs en devenir, pourquoi ne pas choisir l'option la moins convenue qu'est celle de tenter l'impossible pour tenter de ramener un peu d'humanité dans un désert décrépis ? C'est le choix entre se conformer à la masse ou suivre et affirmer ses propres idéaux ; dans tous les cas, les autres ne correspondront jamais à qui nous sommes réellement. Ce qui n'est pas nécessairement synonyme de violence envers les autres : il y a un monde entre Gandhi et Malcolm X, même si la démarche initiale était semblable.


Ouroboros : 

Forcément, même avec un titre pareil, Le Livre d'Eli a forcément une portée critique sur la religion. Si Elie est repris dans différents courant religieux comme un personnage important, il apparaît majoritairement comme un messie. Il y a un flou constant tout au long du film sur cette portée religieuse. On comprends rapidement le livre dont le maire du village fait allusion, et on en déduit dans le même temps plusieurs détails clefs sur l'univers post-apocalyptique du film et, de ce fait, sur la critique religieuse à proprement parler. Tout aurait été détruit suite à une sorte de guerre mondiale, provoquée indirectement par des différends religieux entre pays. N'est-ce pas le cas (dans le monde réel, hein) depuis pas mal de décennies, voir siècles ? Et c'est cette même religion prônant à l'origine des valeurs morales saines ayant pourtant mené le monde à sa perte qui va être ré-utilisée par le maire pour manipuler l'un des derniers bastion d'êtres humains qui n'attendent que de voir un peu d'espoir poindre à l'horizon. C'est ce double pouvoir de la religion qui fait réellement trembler ; des messages aux vertus moralisantes qui ne visent que le bien de tous, mais un outil de conflit majeur menant à des siècles de guerres, aiguisé par ceux qui l'utilise comme moyen de prise de pouvoir. Et le serpent se mords la queue.




Ce que j'en ai pensé : 

D'un point de vue uniquement visuel, en tant que grand fan des univers apocalyptiques, j'étais comblé. Certains plans semblaient sortis de Fallout, les costumes sont crédibles, c'est poussiéreux, les couleurs sont vraiment sympa, et bon, y'a un faux plan-séquence qui envoie quand même du pâté. Y'a un truc fascinant dans ce genre de décors. On s'évertue à avoir des villes à peu près propres, avec des circulations fluides, des façades de bâtiments qui flattent l'oeil et on tombe dans l'extrême opposé dans ce genre de film. Ça donnerait quoi si demain il n'y avait ni électricité ni eau courante ? Les immeubles s'effondreraient au bout de quelques jours, faute d'entretiens. La végétation (ou ce qu'il en resterait) infesterait les canalisations  les rendant inutilisables à moins de les reconstruire, occasionnant des inondations au passage . Et les gens, tout simplement ! Un des trucs cliché qui m'a toujours fait marrer dans les films catastrophes : un plan dans une rue, c'est le chaos, tout le monde hurle et court, et y'a toujours un clampin pour voler une télé dans un magasin. Pourquoi ? Sommes-nous trop attaché à notre confort pour avoir peur de passer une durée indéterminée dans le chaos sans avoir de télé, même si celle-ci ne peut fonctionner et nous délivrer ses puissants messages Ô combien instructifs & objectifs, faute d’électricité ou de réseau de communication valable ? Ou bien cette télé volée incarnerait tout notre désir de consommateur refoulé, où posséder prime sur l'utilité qu'on en tire? Ce qui me fascine dans les films apocalyptique, c'est de voir comment le film va insuffler le chaos via les agissements des personnages. Certains volent des télés, d'autres acheminent un bouquin.

Après, y'a le côté polémique religieuse. Je suis loin d'être expert concernant les religions. J'ai lu la Bible, le début du Coran que je suis en train de lire petit à petit et, une fois fini, je lirais la Torah. En parallèle, je lis de temps en temps des textes bouddhistes. Sans pour autant faire partie d'une de ces religions, j'essaie de les comprendre un minimum. Chacune a, dans sa manière bien à elle, des messages "nobles" qu'elle véhicule, que ce soit concernant la "foi", la morale, l'estime de soi et des autres... il y a des valeurs humanistes intéressantes, chacune de ses religions utilise des situations plus ou moins métaphoriques et/ou romancées pour les transmettre. Le Livre d'Eli met justement ce paroxysme en avant : comment des messages devant mener à l'accomplissement de chacun d'entre nous peuvent-ils dériver au point de déclencher des guerres et des conflits d'une telle ampleur ? Si, dans le film, l'extrême va jusque dans l'apocalypse et la reconstruction du monde, ce sont ces même textes qui viennent reconstruire ce même monde. Les dernières images montrent la Bible dans une bibliothèque, aux côtés du Coran et de la Torah. Si la forme peut être maladroitement mis en scène à l'image, le fonds n'est-il pas juste ? Ces textes n'ont-ils pas été posé sur papier (par une entité divine ou n'importe qui d'autre) afin de véhiculer des valeurs tendant à faire surgir le plein potentiel qui sommeille en chacun d'entre nous ? Et si l'une de ces valeurs fondamentales est probablement celle de ne pas créer d'holocauste en répétant les erreurs du passé, je me demande souvent qui peut bien actuellement tirer les ficelles pour nourrir ces conflits à travers le monde. Comme le maire dans Le Livre d'Eli, ceux qui préfèrent écouter les intermédiaires peu fiables plutôt que de s'abreuver à la source de ces textes courent toujours le risque de devenir les outils de quelqu'un d'autre . L'Homme possède son libre arbitre et, de nos jours, il n'est franchement pas compliqué de se renseigner sur des questions d'éthiques ou quoi que ce soit d'autres, non pas par la profusion des sources mais par leurs interprétations divergentes... car l'important n'est-il pas au final de se fier à soi-même et à son propre esprit critique ? Ceux qui ont écrit pour la première fois les textes religieux, qu'avaient-ils en guise de Foi sinon eux-même ? Adhérer à des communautés et instaurer une certaine rigueur via des rites peut-être une excellente vertu sur bien des points. Mais qu'est-ce qui empêche de nous fier à notre propre jugement éclairé par un minimum de ... sens logique ?


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